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Paru dans Septentrion, XXXV/4/2006-4.

Composer en différentes dimensions: Michel van der Aa

Si l'opéra After Life, qui ouvrit le Holland Festival 2006, attira, pour la première fois, l'attention du grand public sur le compositeur néerlandais Michel van der Aa (*1970), cela faisait déjà plus longtemps que le monde musical avait découvert en lui un talent remarquable et varié.

Cette réputation remonte à l'année 1999, année où les inserts électroniques que Van der Aa avait composés pour l'opéra de Louis Andriessen, Writing ta Vermeer, le firent remarquer pour la première fois. Quelques mois plus tard, il gagnait le prestigieux prix Gaudeamus pour Between, une composition pour quatre percussionistes et sons électroniques. Les événements allaient alors s'accélérer: à peine cinq ans plus tard, il signait un contrat avec la célèbre maison d'éditions musicales Boosey & Hawkes. Le fait que le directeur du Holland Festival, Pierre Audi, l'invita à la même époque à écrire et à mettre en scène un opéra à lui, ui fut d'ailleurs unanimement acclamé, en dit long sur la rapidité de son ascension.

Van der Aa n'a pourtant pas été un enfant prodige en musique, bien qu'il ait chanté, tout jeune, dans un opéra pour enfants et étudié ensuite la guitare. Même lorsqu'il est entré au Conservatoire royal de La Haye, il n'ambitionnait pas encore une carrière de compositeur puisqu'il s'inscrivit au cours d'enregistrement musical. Ce n'est que durant ses études qu'il remarqua qu'il avait, lui aussi, quelque chose à dire et qu'il rejoignit le département de composition.

Van der Aa appartient à l'École de La Haye, un mouvement qui préfère la sobriété et le constructivisme à l'émotion et aux belles sonorités. Cependant, en dehors d'une grande économie dans le traitement des données musicales, l'oeuvre de Van der Aa ne recèle pas d'autres caractéristiques typiques de cette École. Ayant découvert relativement tard sa vocation de compositeur, il se montra, dès ses débuts, suffisamment sûr de lui pour choisir sa propre voie.

Expert en technique de prise de son, il était assez normal qu'il passe à l'exploitation de sons électroniques. Pourtant, la musique électronique pure n'attire guère Michel van der Aa. Ce qui l'intéresse, c'est de combiner – et de frotter l'un à l'autre – le son enregistré et le son produit en direct. Il considère la strate électronique de préférence comme un instrument supplémentaire, et les sons qu'il intègre dans ses bandes magnétiques sont quasi toujours dérivés des instruments auxquels ils seront finalement combinés. Exception importante à la règle: le bruit de branches cassées, qui est presque devenu dans son ¦uvre l'équivalent d'une signature, tout en étant un symbole du petit coup de transition, fracture entre deux dimensions acoustlques.

Dans la plupart des cas, la composante électronique est enregistrée sur CD. Les musiciens ou le chef d'orchestre restent sur la bonne voie grâce à un clicktrack qu'ils suivent par écouteurs. Van der Aa a également utilisé des applications plus simples, comme dans Here (in circles), où la voix de la soprano, enregistrée sur un lecteur de cassettes, devient à son tour une partie de la composition. La qualité de son moindre fournit alors le contraste désiré.

Van der Aa ne travaille pas toujours avec des strates électroniques; il a également à son actif quelques compositions pour formation traditionnelle, avec un contenu purement musical. Néanmoins, son imagination l'entraîne toujours dans des directions ou les éléments visuels ou les moyens théatraux jouent aussi un rale. En 1997, il composa ainsi Wake pour deux percussionnistes, dont l'un joue tandis que l'autre ne fait que mimer. Vu ces intérêts particuliers, il est logique qu'il ait déjà collaboré à diverses reprises avec des chorégraphes.

Désireux de donner également une forme indépendame à ses idées, Van der Aa suivit pendant quelques mois une formation filmique à New York. "Il est facile de dire: faisons quelque chose avec une vidéo," disait-il à ce sujet dans une interview. "Mais je veux le faire bien, il faut que cela soit de même niveau que la musique." Le résultat fut l'opéra de chambre One (2002), pour lequel Van der Aa se chargea non seulement de la musique, mais aussi de la réalisation des images et de la production. Cet opéra, qui lui valut en 2004 le prix Matthijs Vermeulen, fut produit dans de nombreux pays. Van der Aa y combine des fragments d'interviews et des sons électroniques à un duo ingénieusemem tissé entre ce que chante la soprano Barbara Hannigan et la projection d'images qui avaient été tournées d'elle au préalable.

Parmi les ceuvres que Van der Aa composa ensuite, After Life est certainement la plus importante et la plus ambitieuse. L'opéra est déjà remarquable en ce sens qu'il se base sur un film du même nom tourné en 1998 par le réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda. L'histoire se passe dans une dimension située entre la vie et la mort. Huit personnes qui viennent de décéder reçoivent pour mission de choisir un souvenir dans leur vie pour l'emporter avec elles dans l'au-delà.

Van der Aa utilisa ici une méthode similaire à celle mise en ceuvre dans One, mais évidemment à plus grande échelle. Tout en traduisant avec ingéniosité le scénario du film en livret d'opéra, il y ajouta différents ingrédients personnels. Il recourut de nouveau à des composantes filmées, parmi lesquelles des fragments d'interviews enregistrés comme documentaires, mais aussi à un carrousel d'articles ménagers subtilement dédoublé dans les images filmées. Petit extra apprécié dans le décor: les panneaux transparents qui, par simple pression sur un bouton, se transforment en écrans de projection.

Sur une estrade au-dessus de la scène siégeait l'Asko Ensemble, dont l'admirable précision s'adaptait aux morceaux de puzzle électroniques, échos et dédoublements, qui formaient un contrepoint aux flash-backs et aux transitions souvent abruptes entre les tableaux. Un moment mémorable du spectacle est atteint lorsque l'un des chanteurs lit une lettre. Van der Aa y double la partie du lecteur au moyen de la voix de l'écrivain – une manière simple et originale de donner forme à la scène de la lettre qui fait partie de l'arsenal de l'opéra depuis le XIXe siècle. Ceci démontre, une fois de plus, que son inventivité ne le conduit pas seulement à imaginer de nouveaux sons et images, mais aussi à jeter sur la tradition un regard dénué de tout préjugé.

(traduction: Ch. Gerniers)


© Frits van der Waa 2008